Sentiments sur le débat «Panafricanisme as-tu un code?»

Jean Éric Bitang, 28 octobre 2017

Il s’est tenu ce lundi 23 octobre 2017, dans les locaux de l’Institut Français du Tchad, un débat sur le thème du panafricanisme dans le cadre des activités connexes de la Conférence Finale du programme de recherche « Connecting in Times of Duress ». Le but de ce papier est d’exprimer mon sentiment sur la manière dont ce débat a été mené.

D’une manière générale, chacun des trois panélistes était d’accord sur l’idée du panafricanisme, et personne n’a remis en cause sa légitimité. En revanche, il a souvent été question de proposer de « repenser » le panafricanisme, au vu de l’évolution du monde. Il était question de dire qu’il faut que la doctrine du panafricanisme change et s’adapte à la situation extérieure contemporaine, car depuis 1900 (date de la première conférence panafricaine), beaucoup de choses ont changé, notamment l’indépendance des États africains. Néanmoins, il est loisible de constater que la plupart de ces pays se trouvent encore dans une situation peu enviable au niveau développemental. Selon les intervenants, le panafricanisme s’avérerait salutaire, car il permettrait aux États africains de se positionner comme une puissance sur la scène internationale.

Néanmoins, pour certains panélistes, le panafricanisme a été défini comme une doctrine raciste, c’est-à-dire qui s’intéresse à la « race », défini lapidairement comme la « couleur de peau ». Ainsi, le panafricanisme serait une doctrine à l’adresse des négro-africains, dont le message est de s’unir pour résister à l’impérialisme et à la domination occidentale. Cette optique argumentative et définitionnelle a suscité une question de la part d’un participant au débat : le panafricanisme est-il une théorie raciste ?

En réalité, même si la racine du terme panafricanisme est Afrique, ce qui laisse penser à cette partie du monde dont les habitants sont majoritairement Noirs, le panafricanisme n’est pas une théorie raciste. Si on prend l’exemple de Nkrumah, le panafricanisme est d’abord une doctrine politique qui prône l’unité des faibles. Or il se trouve que les pays d’Afrique sont majoritairement faibles. C’est en ce sens qu’originellement, la doctrine du panafricanisme s’adresse aux peuples les plus faibles de la terre, dont les Africains. Il ne s’agit donc pas d’un racisme, car le panafricanisme n’ouvre pas les yeux sur la race de l’autre, mais sur la nature de la relation qui le lie à l’Africain. Il cherche, non à renverser le rapport de force, mais à l’annuler, de sorte d’établir une relation plus juste, libérée du sceau de la domination. Mais la possibilité de traiter d’égal à égal nécessite l’égalité de puissance. La doctrine panafricaniste tient que cette puissance ne peut être conquise que grâce à l’unité politique, économique et militaire des États africains.

Mais je pense que le panafricanisme est comme la Négritude. S’il était nécessaire de se penser suivant cette catégorie à un moment où l’humanité refusait au Nègre le droit à l’initiative historique, en tant que doctrine de résistance, le panafricanisme m’apparaît aujourd’hui comme désuet. Les raisons de cette situation sont multiples. D’une part, le projet d’unité des États africains portait en lui le vœu de la libération politique du continent. On doit toutefois constater que les États africains ont accédé à l’indépendance – on polémiquera sur la nature de cette dernière si on veut – sans que cette condition ne soit remplie. D’autre part, dans sa version originelle, le panafricanisme ne questionne pas l’idée d’ « Afrique », ce mot totalisant venu de l’extérieur pour appréhender l’existence de situations souvent disparates. En ce sens, le panafricanisme appartient bel et bien à une époque révolue, et cette doctrine ne peut pas, ne peut plus, à mon avis, être simplement appliquée à la situation présente de l’évolution du monde et de l’Afrique.

En revanche, du point de vue militaire et économique, il me semble que le panafricanisme peut encore garder un certain intérêt. En effet, dans la situation de néocolonialisme des États africains, la puissance économique et militaire serait la prochaine étape vers l’indépendance totale et réelle des pays ayant accédé à l’indépendance politique. Ainsi, le droit à l’initiative historique universellement reconnu par l’accession à l’indépendance, recevrait de puissants leviers pour son expression adéquate et conséquente afin de constituer une Afrique puissante et unifiée.

J’aimerais finir par une remarque : le panafricanisme s’est constitué comme doctrine à un moment crucial de l’histoire où le Nègre n’était pas considéré comme un membre à part entière de l’humanité. L’insistance sur l’unité politique, économique et militaire entendait inclure le Noir dans cette humanité. Dans cette optique, le panafricanisme n’est ni une doctrine de la fermeture (dont l’affirmation principale serait que les Noirs/Africains se constituent en une entité fermée) ni une doctrine d’exclusion (dont l’affirmation principale serait de maintenir la distance avec l’autre). En réalité, et tel qu’on peut le découvrir à travers l’étude des pionniers de cette doctrine, le panafricanisme est un humanisme.

Photo credits: Sjoerd Sijsma

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