Mon refuge au Congo (1)

– Max-Landry Kassaï, 8 March 2017.

Quand j’étais arrivé au Congo, j’avais poussé un grand ouf du fait que j’étais loin des cris d’armes, des pleurs, du sang versé. Je revenais en moi peu à peu. Je commençais à réfléchir sur le pourquoi de notre crise. Je trouvais en fin de compte qu’elle n’était pas moins que débile.

Mes premières nuits au Congo étaient cauchemardesques, difficiles. Je revoyais sans cesse les actes de crimes commis, desquels mes amis étaient morts. Et à vrai dire, la nuit m’effrayait beaucoup. Autour de moi il y avait le bruit des autres réfugiés qui, eux aussi, portaient en eux les lourdes peines et souffrances de la crise débile. Le récit des autres était plus dramatique que le mien, ceux dont les proches parents étaient massacrés sous leurs yeux.

Il était difficile pour nous de tourner la page de cette histoire pour penser l’avenir. Le camp de refuge d’Orobé  avait une atmosphère mélancolique. Seuls les enfants étaient indifférents, et ils s’adaptaient malgré eux à cette nouvelle vie. Une vie plus différente que celle passée respectivement dans nos foyers au pays.

Il y avait rien à y faire, nous devions chercher à nous adapter. Et nous ne pouvions trop exiger  de ceux qui nous avaient accueillis. Des tentes en bâches avaient été improvisées, servant de pièces à coucher ou d’abri. Nous dormions à même le sol et dans une obscurité totale, car les pièces ne contenaient pas de lampes champêtres.

Le matin, il était difficile de supporter la fraicheur que dégageait la rivière Oubangui située à quelques mètres du camp. On se lavait là dans la rivière, à midi ou les après-midi. Il nous fallait aussi accepter la nourriture que le HCR nous servait, des plats dégelasses et immangeables, grossiers dans le fond. Cela nous donnait les maux de ventre et  d’autres personnes, en particulier les enfants, en souffraient, faisant  de diarrhées aigües.

Nous prenions aussi de l’eau sale, qui n‘était pas bien traitée. De ce fait, nous n’étions nullement à l’abri d’autres dangers liés à la santé. Notre santé était exposée. Mais qu’est-ce que nous y pourrions ? Rien du tout. Nous devions accepter ces changements brutaux de vie.

Quelque temps après, nous étions transférés à Molet où le nouveau camp de refuge  a été  aménagé. Une fois arrivés là-bas, les choses n’avaient pas changé du tout. Le même régime alimentaire était maintenu. Plus de cinq enfants étaient morts, après un mois d’installation à Molet à cause de ces traitements inhumains et dégradants.

Vue du camp de Molet. Photo: Mirjam de Bruijn

 

En quittant Bangui, j’avais sur moi une somme de plus 300000 F CFA. Une partie de cette somme provenait de l’argent que j’avais épargné quand je travaillais comme reporter au journal l’Agora. Une autre, provenait de mes biens que j’avais vendus parce que j’étais reparti les chercher au pays. Aussi, l’ami avec qui j’avais traversé avait complété la somme. Cette somme était dépensée sur le camp pour nous aider à la variation de notre alimentation.

Dès début septembre, nous commencions à avoir marre de notre mode de vie si étriquée et répétée. Entre temps, nous avions été mobilisés pour enterrer dignement les enfants morts sur le site. Il y avait un dispensaire sur place, mais le personnel soignant était incomplet et incompétent par-dessus-tout. Le seul médicament  qui était prescrit aux enfants était le paracétamol qui ne pouvait aucunement guérir  les maux dont mouraient les enfants.

Souvent la nuit, il nous était difficile de dormir. Et comme vous le savez, l’Afrique a ses réalités métaphasiques, mystiques que vous ne pourriez ignorer.  Le site de Molet était vraiment hanté. Les mauvais esprits agitaient le camp toutes les nuits  au point où nos nuits étaient transformées en veillées de prière. Souvent vers minuit, les enfants commençaient  à pleurer sans cesse et  nous savions d’emblée  que ces esprits étaient déjà là. De partout, nous entendions des cris de pleurs, des ” au nom de Jésus”  vibrants, pour chasser ces esprits maléfiques.

De ce fait, nos tentes faites en bâches recevaient des coups de  mains ou de pieds invisibles dont les échos étaient effectivement ressentis. Mais pourquoi tout cela ? D’après les dires, les habitants de Molet étaient hostiles à notre installation. Et, ils étaient réputés dans les pratiques de la sorcellerie. Par ailleurs, certains réfugiés centrafricains  commençaient à flirter avec les filles congolaises, lesquelles étaient souvent mariées à leurs concitoyens congolais. Et cela révoltait les habitants de Molet, qui nous considérait comme d’ « envahisseurs ». Nos chers centrafricains marchaient avec leur cul dans la tête, et la crise n’avait pas supprimé les moments de chaleur. Ils convoitaient et couraient avec  les filles congolaises, allant parfois à provoquer le divorce de certains couples. De ces relations étaient nées des enfants illégitimes, victimes des vices de notre société.

Nos activités se résumaient par le manger, le dormir, les discussions banales,   sans oublier  le sexe dont raffolaient certains réfugiés  pour passer le temps. Donc notre temps était occupé de ces choses banales, aux fins d’échapper à nos souffrances. En sus, les récits de nos vécus étaient frappants.

Le récit d’une femme dont le mari et les enfants étaient égorgés semblait le plus horrible. Elle portait une robe tout tâchée de sang qu’elle refusait de changer malgré l’intervention d’autres femmes conscientes de sa situation. Elle ne parlait quasiment pas et pleurait constamment. Elle avait perdu tout ce qu’elle avait de si cher. Et sa douleur était difficilement supportée. [à suivre]

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