Ma fuite au Congo : un devoir de mémoire

– Max-Landry Kassaï, 15 February 2017.

Après un mois de prise de pouvoir par la Séléka le 23 mars 2013, notre vie commençait à être menacée. Les milices Séléka étaient devenues incontrôlées et agissaient brutalement à l’endroit des populations. Elles s’en prenaient sans cesse aux populations civiles et elles excellaient dans les  braquages et les pillages. De ce fait, Les populations étaient devenues  les cibles potentielles de  répressions dues au non-respect des engagements  devant récompenser ou  permettre le rapatriement de certains mercenaires.

Or, une partie des populations pensait que l’arrivée de la Séléka devait ouvrir la voie à une ère nouvelle, pour  balayer les bavures et les  oppressions du régime déchu. Mais, on avait commencé à enregistrer des cas de violences,  de pillages, de destructions des maisons pendant l’avancée de la Séléka dans les villes provinces. Des femmes, des jeunes filles étaient aussi sans cesse violées.

Personne ne pouvait être d’accord ou indifférente face aux crimes commis. Les milices Séléka commençaient nettement à s’attacher à une communauté au détriment des autres, orientant ainsi les violences et les crimes à l’endroit de la communauté chrétienne. De ce fait, la cohésion sociale, l’harmonie entre les deux communautés  s’éclatait. Les deux communautés se baignaient  alors dans le sang, oubliant les acquis de plus d’un  demi -siècle de vie commune. Bref, l’histoire a été ce que le monde a connu.

Le vendredi 12 avril 2013, un jeune homme a été renversé par un véhicule de patrouille de la Séléka estampée” le risqueur de Bouroumata” dans le 7e arrondissement, précisément dans le  quartier Ngatoua, situé à quelque mètres du camp KASSAÏ. Cela avait révolté les habitants qui étaient descendus dans la rue pour manifester leur indignation. Du coup, le régime en place avait donné un motif pour réprimer la manifestation, disant que nous étions des pro-Bozizé qui voulaient nuire au pouvoir en place.

Ainsi, une force importante de milices Séléka a été déployée dans l’arrondissement, celle qui avait pour mission d’éliminer tous les pro-Bozizé. Il n’y avait rien à faire, cette force devait marcher sur tout ce qui bougeait. Vers 16 environ, notre arrondissement a été envahi et des tirs nourris d’armes lourdes ont commencé à retentir de partout. La panique était générale et personne ne pouvait attendre une minute pour détaler.

Certains habitants se recroquevillaient chez eux, alors que  nous avons pris la fuite et nous étions allés nous cacher dans la colline de Gbazabangui. Or,  Nous étions suivis et les milices Séléka nous avaient poursuivi jusqu’à là où nous nous étions retranchés. Elles commençaient à lancer des tirs d’obus et de roquettes sur nous. C’était le sauve qui peut ! Ils avaient  pénétré la colline dans en ordre dispersé pour la chasse aux sorciers.

Il n’avait qu’une issue de sortie dans la colline, celle qui menait au quartier Boy-rab du côté de Ndress. Les autres voies étaient bouclées. En sus, Ces tirs n’avaient pas manqué de faire de victimes dans notre rang. Il y avait un ami du nom de Franklin qui avait reçu une balle en pleine fuite  à la tête et il était tombé sous le coup. Un autre, Grace Audran, avait ses deux membres inférieurs emportés par un tir d’obus, et lui aussi était mort après un temps de débattement. Un autre encore était tombé sur une branche pointue d’un arbre qui lui avait percé les entrailles. Mon cœur battait à se rompre, et je ne pouvais m’arrêter pour assister les autres. Dans ma course, j’ai été giflé et frôlé au passage par les branches d’arbres. J’en étais légèrement blessé.

Nous étions enfin arrivés au quartier Boy-rab, où les habitants avaient commencé à nous harceler de questions.

Certains d’entre nous répondaient à ces questions. Mais moi, je ne pouvais pas du tout parler, parce que je tremblais sans cesse. Je décidais donc de prendre un taxi pour me rendre à Sica1 chez un proche parent, comme je n’avais personne pour m’accueillir à Boy-rab.

Quand j’y étais arrivé, j’ai passé la nuit tout aussi muet que je l’étais à Boy-rab. Les parents pouvaient comprendre mon choc. Je sursautais à moindre bruit. Tout me faisait peur et j’étais vraiment collé aux parents. C’était sans doute le début d’un trouble psychologique qui me guetait.

Le lendemain matin, j’ai reçu le coup d’appel d’un frère, Ephraïm, qui revenait du camp de refuge d’Orobé, un village peu reculé de la ville de Zongo, de l’autre côté de la rivière Oubangui au Congo démocratique où une masse de centrafricains  avait trouvé refuge. Ephraïm revenait chercher ses affaires et il m’avait conseillé de le suivre au refuge pour nous  mettre à l’abri des violences et des tueries de la Séléka. Je ne pouvais pas réfléchir avant de donner ma réponse, laquelle était sans doute positive parce que je commençais sérieusement à dégouter les agissements de la Séléka.

Entre temps, on nous signalait que l’attaque des milices Séléka dans la colline de Gbazoubangui avait fait plus de 13 morts dont six personnes qui priaient dans une petite église située au bas de la colline. Aussi, les milices procédaient de porte en porte pour chasser les pro-Bozizé. Cela avait conduit à beaucoup d’autres dégâts ; car la plus part des hommes de la localité qui étaient restés chez eux étaient tout simplement violentés.

J’avais traversé le même jour avec Ephraïm qui devait aussitôt retourner au camp de refuge. Je m’étais rendu à la direction du HCR pour m’enregistrer comme refugié. Ce jour, je passais la nuit sous le hangar de la direction du HCR,  et ce n’était que le lendemain matin qu’un convoi de véhicules de HCR bourrés d’autres centrafricains nous avait emmené à Orobé au camp des refugiés…

Vue de Bangui sur le fleuve Oubangui. Photo: Catherina Wilson (August 2013)

 

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