CAR: Les répercussions de la crise centrafricaine au Cameroun : Des tensions déjà perceptibles.

– Adamou Amadou , 14 January 2015.

L’entrée de Mandjou, autrement appelé « Carrefour ».

Notre apport relatif à la récente crise centrafricaine consiste à examiner les faits actuels et réels considérés comme éventuels facteurs de contagion de cette crise à l’Est du  Cameroun.

Ceci dit nous serons moins historique et plus factuel. Dans cet ordre d’idée, nous essaierons de nous appesantir sur quelques faits notés à Mandjou ; une périphérie de la ville de Bertoua, région frontalière Cameroun-Centrafrique ; et donc notre champ de recherche. Nos données concernent prioritairement celles collectées courant la période d’accession de Michel Djotodia au pouvoir en mars 2013 jusqu’à nos jours. On note des tensions / altercations quasi quotidiennes à l’Est Cameroun en général et à Mandjou particulièrement comme si l’on se trouvait en plein cœur de la République Centrafricaine. En se basant sur les essentiels des relations sociétales et même sociales,  nous postulons pour un risque  d’une  insurrection conflictuelle dominé par le rôle du facteur ethnique.

carrefour

Notre hypothèse ci-dessus repose sur plusieurs points dont nous développerons autour de la composition ethnique ; de la relation de symbiose habituelle qui a progressivement évolué vers des tensions croissantes accentué par fois par le rôle des téléphones mobiles. Le tout sera illustré par quelques études-de-cas.

La composition ethnique :

Tout d’abord, de part et d’autre des frontières Cameroun- Centrafrique, la composition sociétale est presque identique.  Les deux ethnies dominantes sont les Gbaya, habituellement chasseurs et Chrétiens. Ils sont aussi considérés comme les autochtones a côté des autres ethnies minoritaires comme les Baaka et les Kako jusque-là animistes. L’autre groupe dominant est composé majoritairement des Peulh[1], généralement pasteurs semi / nomades et Musulmans dont on retrouve les traces dans les deux régions limitrophes à partir de la fin du 18eme siècle. A Cantonnier, le premier villages centrafricain de l’autre côté de la frontière, on n’y retrouve les mêmes groupes ethniques. Ceci va jusqu’au fin fond des villes et campagnes de ces deux pays.

Comparativement à ce qui a était indiqué par Souleymane (dans son papiers par rapport la frontière Tchad-Centrafrique) nous avons un constat légèrement différent. Sur l’homogénéité de la langue d’expression qui est le Sango, nous observons qu’à Mandjou,  malgré que tous les groupes se comprennent dans leurs diverses dialectes, chacun s’exprime le plus souvent en sa langue maternelle. On note une nette dominance de la langue fulfulde néanmoins. Il est par exemple, tous les Mbororo s’expriment presque exclusivement en fulfulde en famille, en publique et même en face d’un non Peulh. Alors que les Gbaya, eux,  emploient tantôt la langue Gbaya, tantôt le foulfoulde (quand ils ont pour interlocuteurs Peulh).  Dans des cas assez rares allons-nous dire, le Français est le plus souvent utilisé, par ces deux groupes, lorsqu’ils ont en face d’eux une autorité administrative qui ne comprend pas une des langues vernaculaires ou en face d’un expatrié.

De la relation de symbiose interethnique…  

Bien sûr  que nous accordons une primauté à l’analyse du phénomène de l’ethnicité pour tenter de cerner les changement des relations interethniques comme soutient Burnham (1991). Cependant,  nous mettons en brèche sa position basant uniquement les relations entre les peulh et les autres ethnies sur l’incorporation et la domination faits corolaires des Djihad comme seuls facteurs des conflits interethniques. Si tel est le cas, comment comprendre que, bien que les Mbororo n’étant jamais été considérés comme des conquérants à l’égards des Gbaya, leurs relations avec ceux-ci à Mandjou se détériorent au fils de temps.

Nous privilégions les relations d’interdépendances que nous qualifions plutôt de relations de symbiose, vu l’apport probant de chaque partie dans la vie ou la survie de l’autre.

L’historique de la cohabitation entre les populations dans la zone nous enseignent une relation de symbiose.  Elle est basée prioritairement sur les échanges. D’une part les Mbororo pasteurs en majorité fournissent aux Gbaya de la viande, du lait et de la bouse qui sert de fertilisant pour les champs de ces derniers. De l’autres coté, ceux- ci fournissent aux pasteurs nomade de la farine du manioc. Bref des produits vivriers et de la main d’œuvre. Même lorsque  l’activité des Mbororo a évolué de l’élevage pur vers agro-pastoralisme, désormais le brassage culturel de ces peuples est plus qu’avéré. Ceci se note davantage dans les relations de copinages pour le cas des jeunes et dans des cas restreints mais de plus en plus fréquents des mariages interethniques dont les enfants issus de ces relations symbolisent les liens d’un mutualisme réel.  En prenant pour illustration Burnham lui-même, il a  affirmé sur la relation Mbororo-Gbaya dans la région de Mbere[2] que :

« …la création de l’actuel département de la Mbéré s’avèrent importants dans le développement ultérieur des relations interethniques de cette région. Les Mbororo purent établir des relations positives avec les villageois gbaya auprès desquels ils campaient. Ils échangèrent des produits laitiers contre des produits agricoles et employèrent des hommes gbaya pour construire leurs maisons et exécuter divers services. »

plus loin il dit également,

« …et, malgré la fréquence des disputes sur les dégâts occasionnés par les troupeaux aux champs des Gbaya, les Mbororo les réglaient avec des cadeaux, surtout aux chefs de canton gbaya. » (Burnham Philip 1991 : 84)[3]

Et, comme les Mbororo n’avaient pas participé aux différents conflits ou guerres de razzia, dont  les ethnologues amplifient le plus souvent en mettent en compte ce fait comme conséquence des altercations récente entre les Peulh et les groupes ethniques autochtone, on n’aura bonne prétention de penser que jamais leurs relations avec les autres ethnies se transformeraient en conflit interethnique.

Comment comprendre et expliquer cette  remontée fulgurante des tensions entre ces deux peuples que tout le monde qualifie d’inséparables?

…Vers des tensions persistantes

Lorsque la récente crise centrafricaine qui serait suscitée par le putsch de Michel Djotodia a surgit en mars 2013, les premiers réfugiés à entrer au Cameroun étaient en majorité des Gbaya et pro Bozizé. Il faut noté en l’occurrence que  l’ex président Bozizé dont l’accession au pouvoir par le biais des armes en 2003 était également la cause principale de la ruée des premiers réfugiés, cette là des Mbororo vers le Cameroun. Ils ont rapporté par devers eux des récits d’atrocité dont ils ont été victimes par les hommes de Bozizé jusqu’aux années 2005-2006 ; Années de leur fuites massives. Les récent refugiés de mars 2013 en ont fait autant  en relatant leurs déboires subis par les ex- rebelles de la SELEKA majoritairement musulmane à leurs « frères » locaux en fin les derniers refugiés n’ont pas céder à cette tradition en rapportant les exactions des Antibalaka. De ces intermittentes des situations naissent alors des émotions fortement bouleversantes, de l’antipathie et malheureusement comme dans tous ces genres de conflits des sentiments de vengeance ainsi que nous allons le démontrer plus bas dans ce papier.  Nous n’avons pas eu un témoignage expressif d’un Gbaya à ce propos. Cependant on peut prendre des arguments à contrario en se référant aux réactions des Peulh à Mandjou face à cette situation et delà  nous pouvons déduire que ceux-ci renferment depuis toujours une sentiment de rancœur envers les autres.

«  aujourd’hui en RCA, nous aussi on est respectés »

« Avant c’était seulement nous que les FACA[4] contrôlaient les pièces d’identités dans les voitures de transport public. Maintenant c’est tout à fait le contraire »

« Maintenant si tu rencontres un chrétien ‘kaado’, il te dit Salamou-aleikoum »

Voici les phrases que l’on entendait à ce temps-là à Mandjou de la part des Peulh et du reste de la communauté musulmane.  Ces propos prouvent à suffisance qu’ils expriment des sentiment de soulagement vis-à-vis de l’oppression que leurs « frères » en RCA subissaient avant l’époque de la SELEKA.  Que,  maintenant c’est eux qui contrôlent la situation.

Le revers de la situation a commencé quelque temps avant que Michel Djotodia ait été contraint à la démission. Les Antibalaka et tous ceux qui s’en identifient comme tels ont, à leur,  pris le contrôle du territoire centrafricain. Les exactions sur les musulmans s’intensifient. Commence alors le changement des discours au sien des sociétés islamo-peulh ils vont aussi dans la même directions que ceux observé auparavant chez les récents défaits et ses sympathisants: ils deviennent de plus en plus  des propos de victimisation. Les sentiments anti-français qui, selon eux, est allé désarmer les musulmans pour réarmer leurs « frères en christ ». Une femme parmi la foule refugiée fuyant la crise arrivée à Garoua-Boulaye à peine descendue du camion nous disait qu’ils n’ont pas été chassées par ces « petits antibalaka », mais plutôt par des soldats français qui ont données les armes à ces derniers.

Nous avons visité les chef du village B, village situé aussi non loin de la frontière Centrafricaine du côté de Ngaoui cette fois. Il nous fait part de son inquiétude quant à l’avenir de leur localité sur le plan de la cohabitation interethnique. Lorsque les Gbaya passent devant sa cour dit-il, ils crient haut et fort que «  ce qui est arrivé en RCA, arrivera aussi ici. Que ceux qu’ils veulent se préparent ». Les mêmes propos ont été réitérés par un autre jeune Gbaya au Marché à bétails de Mandjou les 02 mars 2014[5]. Les populations ont alerté la police qui est venus un peu plus tard alors que l’auteur de ce propos avait déjà pris la poudre d’escampette.

 

Quelques cas d’études

Plusieurs tensions observées dans les localités environnantes de Mandjou constituent même en sourdine des facteurs potentiels et donc des éléments déclencheurs d’ un grand antagonisme :

L’un des faits alarmants à Mandjou est survenu très récemment en début d’année 2014 lorsqu’un jeune Mbororo malade mentale a poignardé plusieurs personnes avec un couteaux. Selon les habitants des Mandjou dont nous avons rencontré, à la suite de ces coups de poignard, les Gbaya se sont constitué en groupe avec des machettes en main pour envahir les Mbororo. Heureusement que la population a vite fait de leur renseigner sur le cas de santé de ce débile mental et que même parmi les trois victimes deux sont des Mbororo et un Gbaya. Mandjou n’est pas à son premier cas d’affrontement interethnique. En 2009, suite à une bagarre entre adolescents Mbororo et Gbaya dans un bar, la situation avait dégénéré jusqu’aboutir à une altercation entre adultes. Heureusement qu’elle a été dissipée par  l’intervention rapide des autorités administratives. Le même cas a failli se répété ce mois de d’avril 2014 après qu’un corps sans vie d’un Gbaya a été retrouvé. Là aussi le tact des autorité administratives et surtout policiers ont vite fait calmer la situation. Il s’est avéré que la cause de la mort d ce défunt est l’œuvre criminelle d’un de ses frères de famille.

Ensuite, l’affrontement entre Gbaya et Peulh dans les années 1990 à Meiganga en est un autre évènement dont les séquelles subsistent encore de deux cotés des protagonistes. Nous avons entendu nos connaissances Peulhs dire, en réaction de ce qui s’est dit à Barang et contre notre hypothèse dans cet article qu’un autre conflit interethnique ne pourra jamais avoir lieu dans la région. Ils estiment que le camp adverse avait lourdement subi les revers de cet affrontement. C’est pour cela qu’ils ont tous les raisons de ne pas prendre tous ces échauffourée  au sérieux.  Ils ont coutume de répéter :  «  le Cameroun ce n’est pas la R.C.A »

En troisième lieu l’ accalmie qui s’est produit après l’échauffourée intercommunautaire suite à l’évènement de la mosquée interdite en dit long. D’autres l’ ont appelé « la guerre mosquée contre Bar » accalmie qui a opposé un nantis Mbororo qui voulait rebâtir une mosquée qui jouxte un bar. Là aussi moult tractations sont intervenues entre les protagonistes avant la mise en veille des travaux de cette mosquée. Pour les tenors de l’interruption de cette reconstrucion, tôt ou tard les musulmans requereront la fermeture du Bar trop brouillant même lors des heures des prières.

Photo de la construction interrompue d’une Mosquée jouxtant un bar à Mandjou

( Mosquée en construction interrompue à gauche, Bar à droit) photo par Moustapha. M

 

Puis l’arrivée récente des réfugiés musulmans en grand nombre, n’est également pas vu d’un bon œil par le camp adverse.  Le mécontentement s’est traduit par le refus catégorique des autochtones à céder une parcelle de terrain pour l’extension des bâtiments d’une école ;  don du HCR aux enfants réfugiés et donc sans intérêt pour les riverains, même si on en  trouve quelques enfants riverains y inscrits. Les oppositions sont allées jusqu’aux menaces des autorités qui feront entrer des engins par force pour les travaux de cette école. Lorsqu’on nous a visité le chantier de cette école, les ouvriers étaient entrain de piocher les fondations des nouvelles salles des classes avec des baramines et autres matériels rudimentaires en main.

Le Djaouro B soupçonne  certaines élites de préparer des nouveaux affrontements, car selon lui, elles viennent de Yaoundé, la capital du Cameroun pour tenir des réunions secrètes dans les brousses environnantes.

Comme nous l’avons constatés, dans certains cas les faits précurseurs de la contagion du conflit centrafricain observés à Mandjou sont communs et souvent mineurs mais qui, néanmoins,  traduisent la tension qui subsistent dans ce village dorénavant considéré comme le futur épicentre d’un conflit jumel de la RCA.

 

…et l’aggravation des tensions par la téléphonie mobile et les médias

Nous pensons en dernier lieu que les TELEPHONES et les médias jouent un rôle important en tant qu’ objets de transmission des informations (des nouvelles). Il est fréquent de trouver des gens attroupées autour d’un téléphone d’ une personne leur montrant des images vidéos filmés (dans notre cas) en RCA soit par des Antibalaka, soit par les ex- rebelles Seleka. On montre des images soit des atrocités subis par propre camp, ou bien on est fiers des montrer les exactions que son camp  fait  subir l’autre ; ce qui, sans doute, attise ou apaise les tensions, suscite des émotions selon le degrés de l’atrocité du contenu de la vidéo et selon la position partisane de chaque auteur/utilisateur de la vidéo. Et cela épouse l’assertion selon laquelle «  la xénophobie contre les Tchadiens et les Musulmans est devenu discours récurant et pratique cruelle sur des vies en RCA »   (de Bruijn et  Wilson 2014)[6]. On peut donc affirmer avec (Barth et al 2008)[7] qu’une vision ethnique peut-être pertinente et devenir un facteur de division, non/conflictuel, de la vie sociale. Ceci contraste avec l’opinion de Amselle (1990 : 22)[8] qui argue que la notion de l’ethnie est une pure invention des ethnologues professionnels et des administrateurs coloniaux et des ceux qui combinent les deux qualifications.

En somme, malgré que tout ne soit pas noir à Mandjou présentement, tout n’est non plus rose. Car, ce qui est constaté dans la région de l’Est Cameroun n’est en rien différent de ce qui est constaté pour vrai en République Centrafricaine dans son contexte actuel.

 

[1] Vu le contexte de ‘ségrégation’ ethnique  dans lequel se déroule la crise centrafricaine, nous distinguerons rarement l’appellation ‘Peulh’ des ‘Mbororo’ ;

[2] La Mbere est une rivière qui a donné son nom à l’actuel département de la Mbere dans la région de l’Adamaoua. Ce département est conjointement frontalier à la RCA et à la région de l’Est Cameroun.

[3] Burnham Philip. L’ethnie, la religion et l’État : le rôle des Peuls dans la vie politique et sociale du Nord-Cameroun. In: Journal des africanistes. 1991, tome 61 fascicule 1. pp. 73-102.

[4] Force Armée Centrafricaine

[5] Alh Garga, un commerçant des bétails à Mandjou nous a raconté cette histoire.

[6] http://mirjamdebruijn.wordpress.com/

[7] Barth. F et al 2008. Théories de l’ethnicité: Suivi de Les groupes ethniques et leurs frontières : Presses Universitaires de France – PUF, 2008

[8] Amselle, j.-l. 1990: Logiques métisses : anthropologie de l’identité en Afrique et

ailleurs. Paris, Éditions Payot.

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