Boukary Sangaré – Médias sociaux au cœur de l’élection présidentielle du 28 juillet au Mali

by Boukary SANGARE[1]

Ce dimanche 28 juillet 2013, le Mali vient de tenir un grand pari[2] en organisant l’élection la plus incertaine de son histoire politique[3]. Une élection qui aurait suscité plus d’engouement chez les électeurs maliens selon les observateurs nationaux, sous régionaux et internationaux. Aux dires du président de la république par intérim, Pr Dioncounda Traoré,  cette élection aurait été, de l’indépendance du Mali à nos jours, celle qui a enregistré le plus de succès  et cela de par l’affluence massive des électeurs devant les bureaux de vote. Le Mali vient de sortir d’une crise profonde et multidimensionnelle qui avait plongé tout le pays dans un chaos total. Un Mali divisé en deux, occupé par des terroristes, narcotrafiquants, islamistes et délinquants de tout bord mais un Mali qui a su se lever au bon moment.

Le deuxième et dernier grand objectif, que le  gouvernement de transition s’était fixé, vient d’être atteint à moitié à savoir la bonne ténue du scrutin sur tout le territoire national malgré les quelques irrégularités qui ont été soulignées par les observateurs.

Médias et innovation dans le processus électoral au Mali

En dehors des raisons de crises[4] évoquées ci-dessus, l’une des particularités  de cette élection réside dans l’innovation technique et technologique qu’elle a connue. Pour la première fois de son histoire électorale, le Mali vient d’organiser une élection avec des cartes biométriques, cartes NINA[5], issues du Recensement à Vocation d’Etat Civique de 2009 pour atténuer le taux de fraude lors du scrutin.

Il faut reconnaître que cette innovation dans le processus électoral a aussi ses exigences. Sur la carte NINA, la mention identifiant le bureau de vote n’y figure pas. Le citoyen ayant possédé sa carte devrait chercher à identifier le centre et le bureau dans lesquels il devrait accomplir son devoir civique.  Pour ce faire, deux options se présentaient à l’électeur malien :

1-      Se rendre sur le site de la Direction Générale des Elections (DGE) en insérant les coordonnées relatives au numéro de votre carte NINA, votre Nom et Prénom et en cliquant sur recherche. A noter qu’à 48h des élections, le site de la DGE était saturé et ne répondait plus aux multiples demandes des populations maliennes. Il fallait se rabattre alors sur la deuxième et dernière option technologique, l’envoi des sms.

2-      En envoyant un sms au 36 777 (Orange Mali) ou au 36 666 (Malitel) avec le message suivant : ELE ESPACE puis N° CARTE NINA puis NOM DE FAMILLE. Par exemple pour le nôtre, nous avons : ELE 17803307001002A SANGARE puis OK. L’envoi du message coûte 10F CFA et la réponse est automatique.

Il est clair que pour envoyer un sms ou naviguer sur un site web, il faut au minimum avoir été scolarisé alors que le Mali enregistre l’un des taux les plus faibles en matière de scolarisation dans le monde.

La plupart des électeurs se sont rendus dans les centres de vote mais n’ont malheureusement pas pu identifier leurs bureaux de vote. Conscients de cet état de fait, certains grands partis politiques[6] ont délégué des jeunes militants en rechargeant leurs téléphones portables pour qu’ils puissent aider les personnes n’arrivant pas à identifier leurs bureaux de vote, faute de pouvoir envoyer un sms ou d’aller sur le site de la Direction générale des élections.

Téléphonie mobile et élection au Mali

En plus de l’identification des bureaux de vote, la téléphonie mobile a aussi servi  aux observateurs d’être en contact permanent avec leurs structures tout en communiquant en temps réel des informations qui ont trait au déroulement du scrutin. A cet effet, le réseau Appui au Processus Electoral au Mali (APEM) a doté ses deux mil cent (2100) observateurs nationaux déployés à Bamako et dans les capitales régionales de téléphones portables pour que ces derniers relayent les informations sur le scrutin en temps réel. A entendre le responsable de cette organisation sur l’ORTM[7], au soir du scrutin, cette stratégie a été un succès et a permis à son organisation d’alerter l’administration électorale sur les quelques irrégularités  identifiées afin d’apporter des solutions immédiates.

C’est aussi grâce au téléphone portable que certaines radios locales, Radio Klédu par exemple, ont pu donner les premiers résultats de quelques bureaux de vote à travers leurs reporters déployés à Bamako, Koulikoro, Kayes, Ségou, Sikasso et Gao. L’administration électorale étant dans l’impossibilité de communiquer les  résultats provisoires dans les 24 heures qui suivent, ces radios locales à travers leurs journalistes jouent ce rôle pour permettre aux populations de savoir les grandes tendances. Il faut noter que cela n’est pas sans incidence sur le processus électoral car les résultats provisoires des villes indiquées ci-dessus ne sont pas représentatifs de l’ensemble des résultats. Pour cette élection, les premiers résultats provisoires communiqués par ces radios locales donnent largement le candidat Ibrahim Boubacar KEITA du Rassemblement pour le Mali (RPM) en tête. Cela a provoqué dès le soir du scrutin des sorties massives et des manifestations des militants du RPM pour fêter la victoire prématurée du candidat IBK alors que c’est le Ministère de l’Administration territoriale qui est la seule institution habilitée à communiquer les résultats. C’est pourquoi, les quatre candidats[8] réunis au sein du FDR[9] ont organisé une conférence de presse, le lundi 29 juillet, au siège de l’ADEMA pour attirer l’attention de la communauté internationale sur les irrégularités commises lors du scrutin et sur le fait qu’un candidat veut s’autoproclamer président dès le 1er tour alors qu’eux sont convaincus qu’un 2e tour est indéniable.

A noter aussi que le téléphone portable a servi, selon nos informateurs, de moyen de fraude pour certains partis politiques dont nous tairons les noms pour des raisons d’anonymat. Il a consisté pour ces partis d’exiger à ce que leurs militants, une fois dans l’isoloir et après avoir voté, de photographier le bulletin de vote attestant que le militant a réellement voté pour leur candidat. A sa sortie du bureau de vote, l’électeur est ténu à montrer la photo prouvant qu’il a voté pour le parti  et il a une rémunération variant de 1000F à 2000F.

Nous pouvons noter que les médias sociaux sont des moyens efficaces pour surveiller le processus électoral et permettre aux populations d’avoir en temps réel les informations relatives au déroulement et aux résultats des élections. Néanmoins, il n’est pas à écarter qu’ils sont aussi sources de fraudes électorales et peuvent favoriser les tensions entre les militants des différents partis politiques, facteurs de conflits postélectoraux. A cet effet, l’administration électorale devrait prendre des mesures au préalable pour prévenir tout débordement allant dans ce sens.

 


[1] Etudiant en Master 2 Sociologie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), membre actif de l’Alliance malienne pour Refonder la Gouvernance en Afrique (ARGA Mali) et membre du programme de recherche « Connecting in times of duress » basé à  l’Université de Leiden aux Pays Bas. E-mail : boukarysangare@gmail.com

[2] Paris Ténus ! C’est ce qu’a titré le journal les Echos à sa une du Lundi 29 juillet

[3] La plus incertaine en ce sens que la date de sa ténue ne faisait pas l’unanimité ; le contexte sécuritaire était moins favorable à sa ténue et certains soutenaient que le calendrier avait été imposée par la France.

[4] Crises politique, sécuritaire, territoriale, économique etc.

[5] Numéro d’Identification Nationale

[6]  Rassemblement Pour le Mali (RPM), Parti Africain pour la Solidarité et la Justice (ADEMA PASJ), Union pour la République et la Démocratie (URD), etc.

[7] Office de Radio diffusion Télévision du Mali

[8] Soumaïla CISSE de l’URD, Modibo SIDIBE de FARE, Dramane DEMBELE de l’ADEMA  et Jeamille BITTAR

[9] Front uni Pour la Sauvegarde de la Démocratie et de la République, la coalition qui a eu à condamner le Coup d’Etat du 22 mars et constituée de républicains et démocrates convaincus

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